LE MARCHE KERMEL, TOUTE UNE HISTOIRE

article écrit en juillet 2011
KERMEL, TOUTE UNE HISTOIRE
Kermel, témoin privilégié de l’histoire de Dakar  n’a pas, en ce moment, l’affluence des grands jours. Ce marché centenaire est situé dans le centre de la capitale sénégalaise. Il est un lieu de rencontres et d’échanges culturels entre les amateurs d’art, d’artisanat et de divers produits de qualité.

Estampillé « marché toubab » (marché des blancs), Kermel honore sa réputation de haut lieu d’échanges et de bonne adresse pour des produits de qualité. Le marché est circonscris dans le centre historique de Dakar. Il est constitué en une grande et belle bâtisse en forme de dôme. Avec ses grilles vertes, ses horloges à l’arrêt et ses « coupoles » de tons orangers, la construction fait penser à quelque sanctuaire, relique de la civilisation arabo-musulmane. Ce n’est qu’une illusion, le visiteur qui se perd dans la contemplation de cette architecture unique est très vite ramené à la réalité. Il s’agit bel et bien d’un marché avec tout le tohu bohu qui caractérise un tel lieu et les va et vient incessants des habitués, vendeurs et clients. Le marché a une position stratégique qui a tenu compte à l’époque de sa construction de la proximité des hôtels.
A Kermel, on trouve de tout, ou presque. Le marché toubab est réputé pour ses produits alimentaires de qualité. Les marchands de fruits, de légumes, de viande et de poisson sont installés à l’intérieur de l’unique bâtiment central. A l’extérieur, le client, touriste ou simple passant peut aisément faire le tour du marché et passer en revue les étaux et stands. Ils se sont  agglomérés au bâtiment central. Ici les marchands, artisans et artistes offrent différents articles utilitaires ou de décoration. En faisant le tour, on tombe sur un vendeur de nappes, robes et sacs de fabrication locale. Les principaux articles sont du batik et du bogolan. Des perruches, des rouges-gorges, et des pigeons frétillent dans des cages.. Des jeunes femmes enfilent des colliers et des perles. On trouve des colliers en bois, en pierres diverses, agate, ambre, mégalithe. Les prix varient selon la pierre de 5000 à 8500 Fr. Une seule pierre d’ambre de la grosseur d’une cerise coute 2500 à 3000 Fr.
Niancou Ndiaye est artisan de son état, il fabrique des tableaux de sable dont la plus grande a la taille d’une ardoise et les écoule sur sa petite table qu’il peine à remplir. Il vend également des koras fabriquées par un de ses amis et des statuettes en bois figurant des femmes au beau corps sculptural. Les prix de ces articles varient entre 3000 Fr. et 10000. Niancou propose des »Wouré » de fabrication traditionnelle et des cartes postales. Ces instantanés célèbrent la beauté de la femme noire, la diversité et la richesse culturelles du pays de la téranga, la beauté et l’originalité du paysage. Il est à Kermel depuis 1988.  A l’époque de l’incendie qui avait ravagé le marché en 1994, avec son frère ils avaient deux cantines. Aujourd’hui il en a une seule et la crise a frappé de plein fouet le marché et ces occupants. En ce début juillet, c’est la saison morte « nous comptons sur le rush des expatriés qui vont venir en vacances ».
Des statuettes et autres figurines en bois sont présentes sur de nombreux étaux. La majorité est fabriquée par des artisans sénégalais. Certains sortent du lot, mais le sentiment général est que ce sont les mêmes articles qu’on retrouve d’un étal à l’autre. « Nos artisans ne diversifient pas trop leur production, l’offre est la même dans toute la région » nous dit Bada MBOW, président de l’Association Jeunesse Développement de Kermel. « C’est pour cette raison que nous avons des statuettes en bronze importées du Burkina ». Au dessus des tables, des masques antiques d’origine diverse sont accrochés, ils sont Yoruba, viennent de la Cote d’Ivoire, du Mali, du Ghana, du Nigeria, du Cameroun etc.
En passant devant une cantine sur le même alignement que celle de Bada, un vieil artisan m’interpelle ; il désigne une série de figurines d’éléphant, « c’est une famille » lance t-il à mon endroit. A côté de ces mastodontes miniaturisés, une série de chimpanzés miment diverses expressions. Les uns bandent leurs yeux de leurs pattes, « dama gumbba où je ne vois pas » ; d’autres ont les oreilles bouchés par les mains « dama teu, je n’entends pas » et d’autres encore se tiennent la bouche, « dama loueu » je suis muet, li moy aduna » poursuit le vieux vendeur.

L’une des grandes attractions du marché demeure les vendeuses de fleurs fraîches. Entre 30 et 60 ans, elles se confondent avec le décor du marché. L’une d’elle, Mame Boly BA raconte : « j’étais dans le dos de ma mère quand elle venait vendre les fleurs et les légumes que mon père cultivait à Hann ». Mame Boly est agée de 57 ans, elle  quitte chaque jour Tableau Ferraille. Sa mère parcourait elle aussi le même trajet à pied. Sur la petite table de Mame Boly des bouquets de tournesol sont assemblés dans une bassine contenant un peu d’eau pour en garder la fraîcheur. Une abeille se promène joyeusement de fleur en fleur. Tout en discutant de sa belle voix grave, la vendeuse de fleurs assemble d’une main experte un bouquet de différentes variétés. A même la table, elle a posé des roses d’Inde, des « Canal », des almandins, des zinnias, une belle fleur d’eau en grappe mauve dressée qu’elle appelle « Tambalay » qui se trouve être de l’eichornia crassipes. Elle dit qu’elle aurait volontiers cultivé des roses et des glaïeuls, mais elle n’en a pas les moyens. Le terrain actuel qu’elle exploite leur a été prêté car elle a été spolié du champ que son père cultivait il y a 50ans. Les vendeuses de fleurs de Kermel sont soumises à  la rude concurrence de grands exploitants étrangers notamment, qui disposent de moyens et de terres pour cultiver et exporter des variétés plus diversifiées et de meilleure qualité. De plus, avec le départ des forces françaises du cap vert, Mame Boly a vu sa clientèle considérablement réduite. Les clients « toubab » s’approvisionnent une à deux fois par semaine. La clientèle locale achète le plus souvent des fleurs à l’occasion de mariages, ou d’enterrements. Un voisin d’étal de Mame Boly vient nous interrompre. Il lui emprunte de la petite monnaie. Lui c’est Philippe Kouakou, il est vannier.
Philippe est ivoirien d’origine, et sénégalais d’adoption. Il pratique la vannerie depuis près de 23 ans.  Sur son étal, les férus de vannerie peuvent trouver des articles divers. Philippe est en train de confectionner un tapis de sol en peau de mais. Il tresse la matière végétale en une longue liane qu’il enroule en spirale en la cousant au fur et à mesure. D’autres articles sont faits selon le même procédé. Ce sont des tapis de table, de sol, des faux plafonds, des hamacs qui pendent à une planche en bois. Des paniers, des chapeaux et d’autres objets de décoration fabriqués à base de rônier figurent sur la table. Ils proviennent de Thiès et de la Gambie. Ces articles coûtent entre 10000 et 40000 Fr.
Le marché Kermel est partie intégrante du patrimoine de Dakar et du Sénégal. Baba MBOW nous dit qu’il a été inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1978.  D’aucuns disent que ce haut lieu de la mémoire dakaroise aurait été construit en 1860, d’autres en 1910. Aujourd’hui le marché a changé. L’accès en est devenu difficile du fait des nombreuses constructions qui ont aggloméré tout autour et de l’occupation anarchique des voies. De plus, avant d’arriver à Kermel, les visiteurs et les touristes sont interpellés tout le long du chemin par les nombreux intermédiaires et marchants ambulants. De ce fait, les touristes ont du mal à circuler à leur aise. Cela pose le problème de leur sécurité et contribue à désorganiser d’avantage l’activité.
Kermel reflète à bien des égards le nouveau visage de la capitale sénégalaise. Le stationnement anarchique des véhicules, les nombreux talibés, les gargottes altèrent quelque peu la beauté historique du marché. Bada MBOW préconise la régulation du secteur par les autorités compétentes notamment par l’identification des acteurs, le renforcement de leurs capacités et une police du tourisme efficace. Il appelle aussi à une action concertée avec des services comme le Bureau Sénégalais des Droits d’Auteurs, la chambre des métiers pour professionnaliser et diversifier l’offre et revaloriser la destination Dakar. Cela contribuerait à créer des emplois décents et à enrayer le flot incessant de jeunes clients à l’immigration clandestine.

 NDEYE DEBO SECK

Commentaires

  1. Magnifique article.
    Je passe chaque jour après mes cours devant ce marché et avec le temps, j'ai sympathisé avec certains de ces artisans et marchands.
    C'est un magnifique endroit qui mérite d'être connu par tout un chacun.
    L'artisanat africain n'est pas que pour les toubabs! C'est en premier lieux pour nous les africains!

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