SE SOUVENIR DU JOOLA (2012)
Dans le cadre de la commémoration de l’an 11 du naufrage
du bateau le Joola, la Librairie Athéna a reçu ce samedi 19 octobre Patrice
Auvray et Ibrahima Ndaw. Respectivement rescapé et parent de victimes, les deux
auteurs occasionnels ont fait une lecture croisée des œuvres que leur a
inspirés la tragédie et décrié la gestion « calamiteuse » qui s’en
est suivie.
Patrice Auvray et Ibrahima Ndaw ont partagé avec un
public d’amis, de collègues, et quelques autres rescapés leur douleur, leur
indignation, leur interrogation, leur incompréhension face à la plus grande
catastrophe maritime de tous les temps qui a fait près de 2000 victimes. Ils
ont fustigé sans ambages ce qu’ils ont appelé le deuxième naufrage, la gestion
calamiteuse de la crise et des dossiers des familles de victimes et de
rescapés. « Il y a eu beaucoup de
mensonges, d’incompréhensions, de promesses non tenues » a décrié Patrice
Auvray d’une voix étreinte par l’émotion et étranglée par la colère. Les deux
auteurs ont souligné que 11 ans après le naufrage, chaque commémoration donne
lieu à des hommages, des prières et des minutes de silence, sans que les
responsabilités aient été situées et la justice rendue. Qui plus est, le
problème reste entier, le même laxisme, le même fatalisme qui met tout sur le
dos de la religion prévalent et font craindre un nouveau Joola. « Tous les jours nous voyons les bus de la
mort » dit Ibrahima Ndaw. De l’avis de Patrice Auvray, à l’image du
naufrage, de nombreuses questions essentielles de la gestion publique sont
éludées. Il rappelle ainsi que pendant trois semaines les dakarois ont été
privés d’eau. Pour lui, des instances de
crise comme celles-là donnent lieu à la manipulation des masses et à la
désaffection populaire sur ces questions. Les deux auteurs ont par ailleurs
appelé les associations de familles de victimes et de rescapés à se fédérer
pour focaliser la lassitude et la révolte des familles face à l’inaction des
autorités. Leur cohésion autour d’un projet international permettrait un regain
d’écoute et d’attention pour le renflouement de l’épave. Autrement, le projet
n’obtiendra pas la caution du public. « Par contre, organiser la récupération
des restes humains et des effets personnels des victimes permettrait aux
familles de faire le deuil » a-t-il ajouté. L’après-midi à Athéna n’était
assurément pas pour entendre « la complainte du rescapé » qu’est Patrice
Auvray et la « meurtrissure » d’Ibrahima Ndaw. Elle a été l’occasion
de présenter une lecture croisée de leurs deux œuvres inspirées par la
tragédie. Ibrahima Ndaw a perdu trois filles, « douces et délicates fleurs » dont il ne sentira plus le
parfum. Il leur dédie Une Fleur dans la mer ou le Naufrage du Joola. Le recueil
de 25 poèmes, paru en 2011 aux Editions Phoenix dit tout au long des 74 pages
la meurtrissure de l’auteur dans un « univers
qui résonne de douleurs muettes ». Patrice Auvray dira de l’œuvre
poétique de son vis-à-vis qu’elle permettait de dépasser leurs limites. Car à
tous deux, l’écriture de ses ouvrages était un devoir de témoignage qu’ils ont
tenu à faire dans le souci d’être digne et d’être le plus près possible de la
vérité intérieure qui les a touchés. Ibrahima Ndaw lui pense que la plume de
Patrice Auvray est acerbe, autant qu’elle est belle. La description du drame qu’il
en fait, de son point de vue, du jour où le bateau a quitté Carabane à la nuit
du naufrage est « un délice ». « La description très imagée des détails pour camper le décor et
préparer le lecteur », dénote le sens de l’observation de Patrice
Auvray. Ainsi, plus que le « simple récit d’un naufrage », l’auteur
de Souviens-toi du Joola (paru en 201 aux Editions) a entrepris un véritable
commentaire philosophique. Dans la
lancée, le jeune slameur Khalil a déclamé son texte « les larmes de
l’océan », en hommage aux victimes. La rencontre de cette après-midi à
Athéna entre certes dans le cadre d’une « énième commémoration » du
naufrage, commémoration qui chaque année perd en intensité. Elle a aussi permis
au public d’échanger avec les deux « auteurs occasionnels » et de dégager
des pistes de réflexions pour rendre justice et prévenir d’autres catastrophes.
La création d’une commission parlementaire ad hoc et la mise à contribution de
la société civile pour ouvrir une commission d’enquête et documenter le
naufrage ont ainsi été préconisées.
Musukoro
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