INTERVIEW AVEC PAPE LADJIKE DIOUF: «LE VIOL EST TRAUMATISANT» (2012)
En cas de viol, se réfugier derrière le « masla » ou le « sutura » crée plus de problèmes
qu’il n’en résout. La personne victime de viol peut développer des troubles post traumatiques graves
rendant ainsi indispensable une prise en charge psychosociale. C’est la conviction de Pape
Ladjiké Diouf, psychologue, conseiller en orientation professionnelle et scolaire. Il fustige par ailleurs
le fait que le viol soit légitimé dans la société sénégalaise.
Comment le viol est-il perçu dans la société sénégalaise ?
Le viol est souvent légitimé dans nos sociétés. Dans le cas d’un mariage forcé, le
premier acte sexuel est non désiré et intègre la définition même du viol. Certaines valeurs aussi
rendent difficiles la prise en charge de cette problématique. Quand une jeune fille ou une fillette est
violée, l’entourage cherche à préserver son futur mariage, il décide d’user du « sutura » craignant
qu’aucun homme ne veuille l’épouser plus tard, car elle a « connu » un autre « partenaire ». Dans
les cas où l’agression survient dans la famille, on cherche à préserver l’unité de celle-ci et on évite de
créer plus de problèmes qu’on n’en résout, d’où le « maslaa». Or, même si les choses se règlent à
l’amiable, la victime a besoin d’être prise en charge.
Que recommandez-vous dans ce cas ?
Il est à déplorer toute la médiatisation qu’il y a autour du viol, parce qu’elle rend difficile la prise en
charge. Au niveau des tribunaux, nous préconisons que les audiences se fassent à huis-clos, surtout
quand il s’agit d’un enfant. Car la victime est obligée de revivre l’agression devant un public avec les
commentaires que cela suscite. Il doit y avoir une sensibilisation à tous les niveaux pour aider les
spécialistes dans la prise en charge.
Y a-t-il une prise en charge particulière en cas de viol ?
Tout ce qui touche à la sexualité de l’individu est tellement enfoui que quand c’est entouré d’un choc
comme c’est le cas avec une agression, la victime met des années à « remonter la pente » et à vivre
avec ce mal. Les cas de viol sont les plus difficiles à traiter. L’accompagnement est long et difficile, car
la victime a du mal à extérioriser, verbaliser ce qu’elle a vécu. Elle a du mal à digérer les émotions et
diminuer le poids émotionnel. Une prise en charge psychosociale est indispensable.
Quelles sont les conséquences du viol ?
Le viol est un évènement traumatisant car touchant à l’intégrité physique, morale et intellectuelle, à
l’intimité de l’individu. La victime peut développer des troubles post traumatiques : des troubles de
stress aigu, des symptômes neurovégétatifs au niveau comportemental, cognitif et des affects, un
sentiment de honte, de colère, de culpabilisation par rapport à la société. La victime évite tout
endroit susceptible de lui rappeler le traumatisme, elle se replie sur elle-même, elle a des
réminiscences, « flash-back » de l’évènement, fait des cauchemars, s’énerve vite, a du mal à
s’accepter et à accepter son corps. D’autres troubles sont le manque de sommeil, le manque
d’appétit, ce qui mène à une dépression majeure.
La victime peut également développer des maladies sexuellement transmissibles ou des troubles
sexuels extrêmes comme la nymphomanie ou le sadomasochisme. Il faut l’accompagner, l’amener à
vivre et à surmonter ce mal. C’est à ce niveau que nous intervenons pour aider la victime.
Qu’en est-il de la pédophilie ?
Quand il s’agit d’un enfant, beaucoup s’imaginent que cela va lui passer, mais les conséquences
peuvent être latentes jusqu’à l’âge adulte et un suivi sur plusieurs années peut s’avérer nécessaire.
Qu’est-ce qui motive les agresseurs sexuels, les violeurs ?
Les violeurs sont contrairement à ce que l’on peut penser des personnes normales, même si certains
comportements comme le sadisme sexuel relèvent de troubles. Les motivations que nous
rencontrons en général sont:
- La recherche de compensation ; l’agresseur a besoin de se rendre compte de sa masculinité. Il est
enclin à récidiver.
-Le besoin de domination : l’agresseur a besoin d’exercer son pouvoir sur une personne faible, ce qui
le mène vers une femme ou un enfant, etc.
Il y a aussi des soubassements, notamment mystique, rituel, ou juste le besoin de satisfaire sa libido.
Certains agresseurs s’en prennent spécifiquement à des enfants ou à des vierges .D’autres ont eu des
antécédents. Ils ont subi des agressions sexuelles, ils violent dans un besoin de reproduction de ce
qui a été vécu.
Qu’en est-il de votre structure?
Le Centre National de l’Orientation Professionnelle et Scolaire (CNOPS) est spécialisé en appui
psychosocial et en accompagnement psychologique de victimes de violences en général, de violences
sexuelles en particulier. Nous faisons un accompagnement sur la base d’entretiens et d’observations
et très rarement des tests. A l’issue des deux premiers entretiens nous commençons à orienter la
thérapie. Le premier contact permet d’établir une relation de confiance et une relation
thérapeutique, accueil, mise en confiance, création d’un contrat de relation d’aide.
Vos services sont-ils connus ? Comment vos patients vous viennent-ils ?
Nous sommes connus dans certaines zones, comme à Ziguinchor, où, après la tragédie du bateau Le
Joola, le Centre d’orientation a été érigé en Centre d’écoute. Ainsi, chaque fois qu’il y a un cas qui
requiert un appui psychosocial, les structures de santé entre autres peuvent se référer au centre
d’orientation. A Dakar les cas qui nous arrivent sont souvent acheminés par des connaissances, mais
il n’y pas de service formelle qui permette de se référer à notre centre. Il y a aussi un problème de
communication car le centre est surtout connu comme un centre d’orientation professionnelle et
scolaire, qui fait penser aux concours et aux examens, ce que nous faisons, mais pas seulement.
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