«Choeurs alternés, coeurs alternés» - Une écriture au féminin

Autour de la libraire Lina Husseini, Adama Sow Dièye et Nafissatou Dia Diouf, deux femmes de lettres sénégalaises échangent sur l'écriture au féminin et la place de la femme dans leur oeuvre.
Adama Sow Dieye et Nafissatou Dia Diouf, deux femmes de lettres qu'une génération sépare. Deux passionées chez qui le feu de l'écriture a pris très tôt, dès l'adolescence et qui depui, n'ont pas cessé d'aposer sur une page blanche leur vision de la vie. Toutes les deux ont un genre de prédilection, la nouvelle et toutes les deux se sont essayées à la poésie. Adama Sow Dièye, la plus agée est Directrice de l'animation culturelle et sportive (DIACS) de l'Université Cheikh Anta Diop et professeure de Lettres au sein de la même institution. Aujourd'hui agée de 58 ans, enseignante depuis 1981, elle révèle écrire des nouvelles, de la poésie, depuis qu'elle a 13 ans et qu'elle a tardé à publier. Toutefois, elle a toujours partagé ses écrits avec les «happy few», un don significatif, pertinent, qui lui permettait par exemple de réconforter une personne dans sa douleur. « Il m'est arrivé de donner un recueil dactylographié à quelqu'un qui était dans le deuil et c'était la seule chose que j'avais trouvée qui puisse lui être d'un quelconque secours », raconte-t-elle. La Professeure est passée à l'éditon parce qu'à un certain moment, il fallait « que les textes cessent d'être confidentiels ». Pour avoir encadré de nombreux mémoires de maitrise sur la question, l'écriture féminine est devenu un matériau pour l'enseignante qui a été poussée à une sorte de spécialisation. Au-delà de la condition de la femme et de la polygamie, Nafissatou écrit la transmission du patrimoine culturel, l'amitié, la condition des talibés, le polar. Le tout en fiction, « pas surréaliste », replacée dans des contextes qui pourraient être des situations vécues par tout un chacun. Tout inspire Nafissatou, jusqu'au fait divers lu dans un journal qui peut emballer son imagination et autour duquel elle brode des histoires. Elle travaille sur des situations plausibles, « mes nouvelles sont très ancrées dans la société contemporaine, il faut que chacun puisse s'y retrouver ou retrouver une situation qu'il a vécue ». Mais elle insiste, ce ne sont pas des autobiographies. « je ne me mets pas en scène quand j'écris ». Celle pour qui écrire est une véritable passion, avoue ne pas lui consacrer le temps qu'elle voudrait en raison de ses responsabilités familiales, professionnelles et sociales. Toutefois elle n'entend pas se soustraire à la magie d'écrire, ce grand jeu d'enfant qui lui fait créer des personnages, les mettre dans des lieux, les faire voyager et voyager elle-même. Parce que c'est sa vocation, elle a commencé à écrire pendant ses années estudiantines, et elle compte bien continuer. Nafissatou Dia Diouf pense d'ailleurs « qu'on commence à écrire avant de se dire écrivain parce qu'on a un feu qui brûle, on a des choses à dire, on aime aussi le maniement de la langue, des idées, des concepts ».
Écrire la femme
Dans ses oeuvres, le lecteur rencontre beaucoup de personnages féminins. Car écrire les femmes a un sens pour la jeune écrivaine. Ce n'est pas un parti pris, « c'est une question de point de vue au sens géographique du terme. Je parle en tant que femme, avec mon prisme de femme ». Elle remarque que les écrivains femmes sont plus portées sur le social, sur le bien être de la famille, des enfants. Toutefois, elle ne pense pas pas «qu'il y ait une écriture dans le style, dans la façon d'écrire, dans les genres abordés qui soient plus féminins que masculins». Quand même elle n'est pas féministe, elle n'est pas pour la parité, elle n'est pas pour mettre la femme en avant à tout prix, la jeune auteure est pour l'égalité des chances, notamment en éducation. A 39 ans, Nafissatou Dia Diouf a publié en près de 12ans, huit oeuvres dans des genres assez divers, de la nouvelle à la poésie, en passant par de la littérature pour enfants. Cette jeune mère de famille et cadre dans une entreprise a choisi la nouvelle parce qu'elle «donne cette opportunité là de toucher à beaucoup de thèmes ». De l'avis de Adama Sow Dieye, les femmes ont toujours été présentes dans la littérature, « même si plus de 50 ans séparent le premier texte de fiction signé par un homme du premier texte de fiction signé par une femme ». La professeure rappelle qu'un auteur comme Abdoulaye Sadji a plus d'héroines que d'héros. « On a toujours écrit sur les femmes, écrit des femmes ». Toutefois, la femme écrite était objet de littérature et beaucoup de femmes écrivaient pour leurs tiroirs. Le point de vue a changé quand les femmes ont commencé à prendre «en charge elles mêmes l'écriture, de décrire leurs vécus, leur vie, leur quotidien, parfois leur douleur». Par exemple, la polygamie conflictuelle est absente des écrits des hommes, aussi longtemps qu'ils étaient les seuls à écrire. « Il faut que ce soit les femmes elles mêmes qui écrivent, décrivent leur situation pour que le lecteur suive de l'intérieur les aspects conflictuels de cette pratique traditionnelle». Elles ont ainsi ajouté à leur vécu, aux rôles de productrices, de nourricières qu'elles ont toujours tenus dans la société, l'investissement dans le champ littéraire.
Écriture féminine
L'écriture féminine permet d'interroger les faits sociaux de l'intérieur et de voir que les femmes ne sont pas dans le manichéisme. « Ce n'est pas une vision en noir et blanc, tout ce qui est féminin est positif et tout ce qui est masculin serait négatif », dit la Pre Adama Sow Dièye. Les auteures femmes ne font pas de concession à la gente féminine et ne manquent pas d'écrire la modernité mal comprise, l'arrivisme, l'ambition et l'avidité, des travers observables autant chez les hommes que chez les femmes. « Il ya un lieu entre féminité, gôut de réussir à tout prix, arrivisme qui montre que les femmes écrivaines ne sont pas dans l'option de l'angélisme ». La Professeure a évoqué Mariama Ba qui, selon elle, a eu l'idée géniale d'un roman faussement épistolaire. «Cette fameuse fausse lettre, un peu l'équivalent de la lettre ouverte, j'écris soit-disant une lettre au Président, mais en fait je l'écris à tous ce qui vont acheter le journal et lire cette lettre ouverte ». Par là, Mariama Ba a pu contourner «non pas l'interdiction de la parole féminine», mais son cloisonnement. L'enseignante pense que la parole n'était pas déniée à la femme. Cette dernière «parle, s'exprime, prend position, mais elle est dans des cercles où cette parole est accueillie positivement, attendue». De ce point de vue, la femme utilise un médium, un relai pour que sa parole passe dans l'espace public. Le Pr Adama Sow Dièye pense que le choix féminin, la parole et les conseils de l'épouse sont pris en charge par la voix masculine sur la place publique à travers les fameuses confidences sur son oreiller entre autres. De même, la religion ne dénie pas à la femme le droit à la parole. «L'accès à la religion, surtout musulmane a toujours installé les femmes dans l'intermédiation de quelqu'un qui leur expliquait les choses». Les deux femmes de lettres ont salué le rôle de précurseurs et d'éclaireurs joué par des pionnières comme Annette Mbaye d'Erneville et Mariama Ba. Sans avoir jamais publié de texte de fiction, celle que la professeure Adama Sow appelle affectueusement « tata Annette » a été une personne fondamentale dans le développement du Roman au féminin. Elle a donné le manuscrit d'Une si longue lettre de Mariama Ba à Birago Diop. « Elle a pris ce manuscrit, elle l'a porté et la qualité de la langue, la qualité de la fiction aidant, le texte était sublime. Et c'est aussi à Annette Mbaye d'Erneville que nous devons la publication du premier livre de Ken Bugul». Adama Sow Dièye est l'auteur du recueil, Jimól Kaaw et autres nouvelles, publié en 2009 aux éditions Presses Universitaires de Dakar. Son oeuvre, Poêmes du temps qui passe est paru la même année aux éditions Sagnanème. Nafissatou Dia Diouf a publié le recueil de nouvelles Retour d'un si long exil en 2001, de la littérature jeunesse, Le Fabuleux Tour du monde de Raby en 2004, tous deux aux Nouvelles Editions africaines et un recueil de poèmes, Primeurs paru en 2003 au Nègre International. Le dernier recueil Le cirque de Missira et autres nouvelles est paru en 2010, aux éditions Présence Africaine. Elle vient de finir un roman et a déjà mis en route un deuxième.
publie dans le sud quotidien du 22 DÉCEMBRE 2012. (entre temps, NAfissAtou DiA diouf A publie "sociobiz 2", un condense de chroniques irreverencieuses sur les senegAlAiseries)

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