LA REVOLUTION DU CHEVEU CREPU



L'histoire d'une aliénation
Depuis des décennies, différents produits ont été manufacturés pour  dompter la chevelure crépue des négro-africains et lui donner un aspect plus lisse. Pour cela, cosmétologues et chimistes ont mis au point le défrisage dont la pratique remonte à l’esclavage. Le lissage des cheveux, à l’image de la dépigmentation répondait à des critères de différenciation sociale entre les communautés noires. Pendant la ségrégation raciale, les coiffures traditionnelles telles que les tresses étaient signe de ruralité et apparaissaient rarement dans les publicités destinées à un public afro-américain.

Dans leur livre, Hair story, Untangling the Roots of Black Hair in America paru en 2001, Ayana Bird et Lori Tharp évoquent les Comb tests qui excluaient ou incluaient les paroissiens des églises noires, sur la base de la texture de leurs cheveux. Des tests analogues étaient pratiqués durant l’apartheid en Afrique du sud. «Peau noire, cheveu crépu : histoire d’une aliénation", cet ouvrage qui date de 2005 démontre combien l’entretien du cheveu crépu était absent des standards esthétiques tout au long de l’histoire. L’auteur, la sociologue martiniquaise Juliette Sméralda, parle de l’aliénation des femmes noires à qui il a été proposé une esthétique qui n'était pas la leur, notamment la peau claire et le cheveu lisse.

«N'happy Galsen»

Depuis quelques mois, il n’est pas rare de voir quelques jeunes femmes sénégalaises arborer fièrement leur chevelure crépue dans les rues de Dakar. Si elle n’est pas hirsute, vous verrez une chevelure en vanille, en twa ou avec des tresses. N’allez pas leur toucher les cheveux ou leur demander de passer au salon de coiffure. Pour le coup, il est fort probable qu’elles soient sorties d’un des rares salons dévolus aux soins des cheveux crépus. Sous nos cieux, le mouvement "nappy" est aussi 2.0.


Le groupe Facebook N’happy Galsen, naturelles et heureuses, (contraction en verlan des termes anglais “natural” and “happy” et Galsen ), compte plus de 2000 membres dont des hommes. Les « naturalistas » du pays de la "Téranga" ont pris le terme nappy à leur compte. Sur le groupe, des « accros » au naturel de différents profils et de différents pays profitent de la plateforme pour échanger de bons procédés, de bonnes adresses, leurs aventures capillaires, leurs routines, etc,. Beaucoup de membres tiennent des blogs, pages Facebook ou chaines Youtube. Au-delà de ce réseautage virtuel, les membres procèdent souvent à des achats groupés de produits capillaires et tiennent des rencontres afro. Le maître-mot est donc la solidarité.



Moi, adepte du naturel

Trois sénégalaises, adeptes du naturel, partagent avec nous leurs aventures capillaires. Elle peuvent s’avérer pleines de rebondissements, de petits succès, de chutes et de moments de doute. Mais à la clé, elles ont le plaisir de voir une chevelure domptée et comprise. 

Anna B. Diop a arrêté le défrisage après un accident capillaire. Elle ne s'est donc pas mise à l’idée d’être dans l’air du temps ou de surfer avec le mouvement. Cette adepte du homemade, cosmétique faite maison, confie aussi s’être lancée dans l’aventure parce qu’il y avait une série de produits, de recettes de grand-mère disponibles.  « Pourquoi avoir recours à des produits qui coûtent chers alors que des alternatives existent" ? La jeune femme, enseignante et surveillante à la Maison d’Education Mariama de Gorée, se documente beaucoup sur l’homéopathie, la cosmétique naturelle et les plantes.
Les poudres indiennes, les herbes aromatiques, les vertus de l’aloe vera ou de tout autre produit naturel n’ont plus de secret pour elle. En termes d’alternatives, le moringa peut faire office de spiruline alors que le bissap et le gombo peuvent servir de mucilage. Anna Diop partage les résultats de ses expériences naturelles sur son blog Natural addict world. Elle y donne des conseils beauté, soins du cheveux et bien-être. Le blog a atteint plus de 100.000 visites en moins d’une année d’existence.

Au début de son aventure, Ndack Kane, écrivaine et éditrice n’aimait pas «ses vrais cheveux parce qu’elle ne pouvait pas faire avec un chignon à l'arrière ». Ndack a big-choppé il y a près de 6 ans, « pas parce que c'est la mode, pas parce que j'aime le reggae ou parce que je me sentais aliénée », mais pour des raisons purement économiques. Vivant à Montréal, elle était fatiguée de se défriser à coup de 60$ la séance. Elle a ainsi commencé à s’occuper elle-même de ses cheveux et s’est mise à les comprendre.
Pour sa routine ses alliés sont l'eau, « quelques gouttes tous les matins », de l'huile d'olive, du beurre de karité et du conditionner. « Ça ne me coûte presque rien ! Ça me prend 5 minutes le matin ! Et mon portefeuille me sourit ! ».  Les raisons du big-chop de Seynabou Fagon Kane sont autres. Elle voulait  certes faire des économies chez le coiffeur. Mais elle s’est retrouvée en plein débat philosophique avec ses cheveux, pour les avoir malmenés si longtemps.


La révolution du cheveu naturel

Le 30  Août dernier, l’actrice afro-américaine Sheryl Underwood a créé un tollé en critiquant sur un plateau de la chaîne de télévision CBS, la coiffure afro d’un enfant métis. Sur les sites et les fora, les adeptes du naturel, les « naturalistas », se sont déchainés, critiquant la perruque hors norme de l’actrice et fustigeant ce qu’ils ont qualifié d’estime de soi. Certains internautes sur twitter ont demandé à l’actrice, « qui lui avait appris à se haïr »? En référence à la célèbre citation de Malcolm X extraite d’une adresse célèbre prononcée en 1962 à Los Angeles.
Moins d’une semaine plus tard, une autre histoire de cheveux avait attiré l’attention. Une petite fille noire avait été renvoyée de son école en raison de sa coiffure. Le règlement intérieur interdit les coiffures telles que les  « dreadlocks, afros, mohawks » ou tout autre style excentrique jugé inacceptable. Ici encore, la natural hair community ne s’est pas faite prier. Les critiques ont fusé de partout pour fustiger le règlement de l’école en question dont la directrice est afro-américaine.
Ces épisodes qui n’ont rien d’isolé ont eu le mérite de faire le buzz et de mettre en lumière la Natural Hair Revolution, qui secoue les communautés noires des Etats Unis aux Caraïbes, en passant par l’Europe, et l’Afrique.
Le retour au naturel, ou plus couramment « Nappy », prend ses racines dans le mouvement nationaliste afro-américain des années 20 avec l’émergence de débats sur la dépigmentation et le défrisage des cheveux. Le leader nationaliste, Marcus Garvey a  lancé une formule devenue célèbre à ce propos : “don’t remove the kinks from your hair! Remove them from your brain!” (N’enlevez pas la texture crépue de vos cheveux, enlevez-la de vos cerveaux). 

Angela Davis, Assata Shakur, Ida B. Wells, Toni Morrison, Maya Angelou ou Nina Simone, les icônes féminines des luttes pour les droits civiques ont toujours arboré leur afro, tresses ou locks qui, plus qu’une simple coiffure, illustraient leur militantisme et leur rejet des normes esthétiques occidentales qui dénigraient le nez épaté des noirs et leurs cheveux crépus. Sous cette perspective, beaucoup de « naturalistas » ont assimilé leur retour au naturel à une affirmation de l’estime de soi que des années d’esclavage et de colonisation ont déniée aux noirs.
Les chanteuses Erykah Badu et Lauren Hill dans les années 90, plus récemment les mannequins Inna Modja Yaya Dacosta, les porte-voix du mouvement sont nombreux. Ce sont des personnalités afro-américaines fières de leurs origines, qui portent un message fort à l’endroit de leur public. En ces derniers mois, il est d’ailleurs de bon ton chez les stars afro-américaines, de poster de temps à autre la photo « de cheveux naturels » sur instagram ou sur twitter, un post que les blogueuses à l’affût se feront une joie de partager dans leurs nombreux réseaux. En début d’année, lors des Screen Actors Guild Awards, la coiffure «afrohawk» de Teyonnah Paris a été postée sur les réseaux sociaux par tous les naturalistas.


L'aventure capillaire


Dans son blog Naturaltif dédié au cheveu naturel (crépu, frisé et bouclé), Seynabou Fagon Kane donne un petit lexique de l’aventure capillaire (hair journey en anglais). L’expression désigne toutes les péripéties du retour au naturel. Le big-chop expression anglaise pour dire la grande coupe est souvent la première étape de cette aventure. Il consiste à couper les longueurs défrisées, voire toute la chevelure pour laisser pousser les cheveux naturels. Celles qui ne veulent pas big-chopper peuvent opter pour une transition. Là, il s’agit d’arrêter le défrisage et tout traitement chimique et de laisser les cheveux faire une transition vers leur texture naturelle. Pour favoriser la pousse et assurer la bonne santé de ses cheveux, la nappy peut suivre une routine capillaire, hair regimen en anglais pendant laquelle elle leur prodigue des soins quotidiens. Ces soins diffèrent d’une naturalista à une autre. Une routine peut comporter une prepoo (masque ou bain d’huile), un poo (shampooing), un conditioning (démêlant) et  une coiffure protectrice.
Dans cette aventure, une nappy a besoin d’accessoires fétiches, entre autres le vaporisateur ou hair spray pour hydrater régulièrement les cheveux, le peigne à dents larges ou la brosse pour démêler en douceur. En termes de coiffures, le cheveu crépu étant très versatile offre diverses possibilités. Au grè de ses humeurs on peut opter pour une coiffure protectrice, un twa ou pour un twist out. Le twa (tweenie weenie afro) est un afro court, les twists sont des vanilles ou torsades, qui défaites, donnent le twist out et donnent un aspect bouclé à la chevelure. Les coiffures protectrices sont les tresses, vanilles, coiffures au fil ou autres bantu knots remis au goût du jour et qui favorisent la pousse du cheveu.


Comme toute aventure, la hair journey connait des hauts et des bas. Ainsi il ya un mauvais jour pour les cheveux, la bad hair day, « pendant laquelle les cheveux n’en font qu’à leur tête ».


Lubie ou Tendance


L’engouement autour du cheveu naturel fait penser à une lubie ou une tendance. Au-delà de motivations « idéologiques », une certaine querelle d’écoles se développe par blogs interposés, pour débusquer les mythes sur le cheveu crépu, rectifier la terminologie, etc,. Par exemple, elles sont nombreuses à soutenir que l’on ne devient pas naturel, on le redevient. "We don't go natural, we return. Natural is where it all began" affiche un blog spécialisé. Au pays de l’oncle Sam où rien ne se fait à moitié, les spécialistes du cheveu naturel, gourous de la Natural hair academy ou coachs capillaires sont légion. Ils sont docteurs, auteurs, cosmétologues. Ils concoctent régulièrement des recettes et formules miracles, donnent des trucs et astuces, organisent des sessions de formations sur le soin et l’entretien du cheveu naturel. Qui plus est, les industries cosmétiques ont senti le filon, nombreuses sont celles qui ont dorénavant une gamme « cheveux crépus ou défrisés» dévolue à une clientèle noire ou métisse.

En termes de production, le « mouvement nappy » est très documenté. De nombreux best-sellers ont été publiés et des films réalisés. En début d’année, le photographe américain Michael July a réalisé un beau-livre intitulé AFROS. L’ouvrage présente différentes photographies de « naturalistas » de différentes catégories, hommes femmes et enfants, afro-américains, métis et même caucasien qui témoignent sur leur retour au naturel et leur conception du nappy. On y trouve aussi une photographie de la coiffure afro du Dr Cornel West, professeur à Princeton et un portrait d’Aevin Dugas, détentrice du record du monde de la coiffure afro avec 1,32 mètre de circonférence en 14 ans de naturel.


Le retour au naturel s’apparente donc à une révolution. Mais celle-là non plus n’est pas télévisée, du moins pas encore. Les crinières blondes et lisses de Beyonce et Rihanna continuent d’être en tête d’affiche à la télé comme dans les magazines. Les publicités vantant des produits miracles made in France ou des Etats-Unis pour avoir la chevelure soyeuse d’Ayshawaria Ray occupent le haut du pavé. Qu’à cela ne tienne, le mouvement Nappy a de beaux jours devant lui. Une étude a révélé dernièrement que les ventes de produits défrisants avaient baissé de près de 26% aux Etats-Unis.


Sur la toile, ce sont des milliers de chaînes  youtube, de blogs, ou de pages facebook qui sont dévolus aux soins, trucs et astuces, bonnes pratiques et techniques pour entretenir cette chivé de nature revêche. Une 2.0 révolution, mais pas seulement, les médias afro-américains eux aussi ont tout compris. Le très plébiscité Essence Magazine consacre une rubrique Natural Hair revolution à son lectorat. Au Sénégal, l’artiste photographe Elise Fitte Duval vient de consacrer une série de portraits aux chevelures crépues. De quoi motiver une communauté du cheveu naturel, cosmopolite et globalisée.

                                                                                     
ARTICLE ORIGINELLEMENT PARU LE 30/09/2013 DANS SUD QUOTIDIEN

Commentaires

Articles les plus consultés