quand l'homme se forgeait autour du bol

Dans de nombreuses cultures, les habitudes alimentaires ont contribué à façonner les individus. Par exemple au Sénégal, de nombreuses valeurs étaient transmises autour du repas en famille. Aujourd’hui ces pratiques alimentaires traditionnelles se raréfient et tendent à perdre leur portée sociologique.


Au Sénégal, dans de nombreux foyers, la famille se rassemble autour du bol pour partager les repas. Cette pratique est perpétuée depuis des lustres par des générations de Ngueyenne et de Ndiawène, notemment autour du traditionnel thiebu dieun (riz au poisson). La signification et l’origine n’en sont pas très connues.
De l’avis de Babacar Diagne, notable lébou, cette tradition avait une haute symbolique. D’abord les anciens prospectaient l’endroit où implanter le bol. Ils y faisaient des prières pour protéger la famille contre la faim, la pauvreté et la maladie. En outre le repas autour du bol illustre la solidarité. « La famille partage le repas avec des voisins et amis, des liens sont ainsi scellés. Il n’y plus de querelle ou dissension possibles. »
Dans les très grandes concessions, la famille implantait deux bols. Les petites filles s’asseyaient avec les femmes, les garçons avec les hommes. Une fois réunie autour du bol, ils attendaient que le plus âgé dît bismilah (au nom de Dieu). Alors les mains plongeaient pour en ressortir une poignée du précieux thiep sans en perdre une miette. Puis il fallait délicatement le mettre à la bouche et mastiquer sans bruit.
Le repas était aussi l’occasion pour les aînés d’inculquer certaines valeurs aux plus petits. En mangeant, ils observent la manière dont les enfants procèdent, pour les rectifier. Ces derniers doivent avoir le doigt gauche sur le rebord du bol. Ils ne doivent point bavarder, ni porter la main au milieu du bol. Les adultes se chargent en général de leur fournir du ndawal (portion de poisson ou de viande).
Atoumane DIAGNE souligne « s’alimenter requiert de la tenue ; il faut honorer cette manne dont le Bon Dieu nous gratifie ».
Cette tradition n’est plus très observée. Babacar Diagne déplore que de nos jours il n’y ait plus le sens du partage. Car, dit-il la course vers l’argent a fini de tuer l’union dans la famille et au-delà dans la communauté.
Les temps ont beaucoup changé. L’augmentation de la population active disloque chaque jour plus de cellules familiales. Cette population trouve une alternative au repas familial en la multitude de fast-foods de la capitale. Leur ambiance grouillante a relayé la routine cossue des foyers. Et ces prêts à manger sont tout indiqués pour assouvir sa faim après une dure matinée de labeur.
Les pratiques alimentaires ont toujours occupé une place de choix dans la formation et l’éducation à la vie en société. Toutefois, du fait de la modernité et l’augmentation de la population active, elles tendent à perdre leurs fonctions et leur signification profonde.


Ndèye Débo Seck

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